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séminaire du 5 avril 2023

Le bison, la cigogne des temps paléolithiques ?

par Régine PRAT

Je vais proposer une visite de l’évolution des représentations féminines préhistoriques en fonction d’une question explorée en psychanalyse comme « théorie sexuelle infantile ». 

A partir du constat que les représentations rupestres ne répondaient à aucun objectif matériel, ni ne servaient de rite magique de chasse par exemple, nous sommes confrontés à l’évidence qu’il fallait une motivation puissante pour parcourir ces chemins souterrains inconnus obscurs et angoissants et que cette motivation était uniquement psychique.

Ce que nous voyons sur les parois des grottes est donc le résultat d’un acte de pensée, engageant vraisemblablement tout le groupe social. En tant qu’humain, nous avons une véritable compulsion à penser, à transformer la réalité externe et la réalité de ce que nous vivons en histoire, narration, mythe, interprétation, explication, et nos prédécesseurs du paléolithique obéissaient vraisemblablement à la même nécessité.

À partir du constat général relevé par les préhistoriens que les animaux semblent être utilisés comme équivalents des humains pour raconter une partie de l’histoire humaine, je vais m’intéresser au fort lien de sens entre les représentations de femme et de bison. A. Leroi-Gourhan avait déjà recherché les liens symboliques du couple femme-bison ; de façon plus récente et très étayée, M. Lorblanchet considère les « femmes-bisons » comme une « association-copulation mythologique » d’une divinité féminine et d’un dieu mammouth et analyse le panneau dit des « femmes-bisons » de la grotte du Pech-Merle comme une sorte d’autel lié à un « culte de la fécondité des espèces… et à une mythologie de la création du monde ».

La visite du site du paléolithique supérieur d’Angles-sur-l’Anglin a été le point de départ de mes réflexions, et d’une confrontation des représentations de l’art pariétal avec un mode de pensée psychanalytique, plus spécifiquement déterminé par mes intérêts de psychanalyste d’enfant : si le lien entre femme et enfant relevait du simple constat de l’expérience observable,  comment peut-on imaginer que soit résolue la question du rôle de la sexualité dans la procréation et du rôle respectif de l’homme et de la femme, c’est-à-dire la question du rôle du père ?

On considère habituellement que les connaissances anatomiques justes sont contemporaines de l’avènement des sociétés d’élevage qui ont remplacé les sociétés de chasseurs-cueilleurs au début du néolithique, il y a environ 8 000 ou 10 000 ans avant notre ère. Ce lien entre théorie juste et société d’élevage me semble une inversion du lien de causalité : s’il est en effet indispensable d’avoir une théorie juste des lois de la procréation pour gérer l’élevage, rien n’empêche d’avoir une théorie juste sans l’appliquer à l’élevage. La société d’élevage peut constituer l’indice de la conséquence d’une théorie juste… mais son absence ne signifie pas une absence de théorie juste.

L’association femme-bison est loin d’être exceptionnelle et on en trouve des témoignages relativement nombreux : ces femmes sont représentées nues, ce qui n’est évidemment pas conforme à la réalité de la vie dans les climats du paléolithique mais témoigne du choix de mettre en évidence les caractéristiques de la féminité : une féminité centrée sur la fonction d’enfantement, dont il est assez logique de supposer qu’elle devait représenter un mystère important. L’évolution stylistique des Vénus gravettiennes à un style graphique symbolisé semble indiquer une modification de la conception même de la femme, que l’on peut mettre en rapport avec l’apparition des figures masculines.

G. Sauvet a mis en évidence l’augmentation au Magdalénien des représentations de bisons (particulièrement dans la région cantabrique et dans les Pyrénées). R. Bourrillon fait l’hypothèse que  « Les changements formels subis par les femmes et l’arrivée des figures masculines suggèrent des modifications dans la conception du Monde et de la Société ».  J’y rajoute la possibilité d’une modification dans les hypothèses sur la conception, comme une sorte de mythe fondateur, une théorie sexuelle paléolithique qui aurait joué un rôle intermédiaire pour la découverte du rôle anatomique du père dans la conception.  

Le bison serait un bon candidat au rôle paternel, entre autres, car la durée de la gestation chez le bison est de 9 mois, phénomène absolument unique chez les mammifères, à l’exception des humains. Un mythe de la femme bison-blanc chez les indiens Lakotas étaye l’hypothèse de la femme-bison comme un des plus vieux mythes de l’humanité en lien avec la procréation.

Ainsi, le bison pourrait bien avoir été une cigogne des temps préhistoriques.

N.B. Régine Prat sera présente à l'ASM13 le 5 avril 2023

Commentaires

  • GS

    1 GS Le 06/04/2023

    L'exposé de Régine Prat a été très intéressant (en dépit de quelques problèmes techniques) et a suscité une discussion très animée sur la reconnaissance du rôle du père dans la conception, à ne pas confondre avec la fonction du père dans la cellule familiale.
    Aux images que Régine a montrées, j'en ajouterais volontiers d'autres, parmi les plus marquantes, pour montrer le rôle joué par la sexualité et la maternité chez les Paléolithiques depuis l'Aurignacien.
    • Hohle Fels (statuette féminine): hohle-fels-stat-femin-4.jpg
    • Khotilevo (femme enceinte): khotylevo-venus-2-r.jpg
    • le priape de Laussel: laussel-ithyphallique.jpg

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